Le bal des folles, Victoria Mas. Éditions Albin Michel, 21 août 2019. 256 pages.

 

« Depuis l’arrivée de Charcot, il y a vingt ans, il se dit que l’hôpital de la Salpêtrière a changé, que seules les véritables hystériques y sont internées. Malgré ces allégations, le doute subsiste. Vingt ans, ce n’est rien pour changer des mentalités ancrées dans une société dominée par les pères et les époux. Aucune femme n’a jamais la totale certitude que ses propos, son individualité, ses aspirations ne la conduiront pas entre ces murs redoutés du treizième arrondissement. Alors, elles font attention. » 

Et c’est un coup de cœur !

Pour son premier roman, Victoria Mas nous plonge au cœur de l’Histoire de l’hôpital de la Salpêtrière. C’est là-bas qu’entre 1882 et 1892, Jean-Martin Charcot ouvre l’une des deux grandes écoles de « l’âge d’or » de l’hypnose : L’école de la Salpêtrière. Les cours étaient publics, grands nombres d’hommes se bousculaient pour espérer pouvoir avoir accès à l’un des cours avec le célèbre professeur. Le but recherché par Charcot ? Provoquer une crise d’hystérie chez une patiente, après l’avoir hypnotisée. Ainsi, il cherchait à prouver que les hystériques n’étaient pas des simulatrices. Si l’on peut louer ses intentions de recherche, je vous laisse imaginer la place de la femme lors de ces « cours » … Utilisée, montrée, mise en scène, bref ! L’histoire se répète inlassablement ! D’ailleurs, c’est Charcot qui est à l’origine de ce « bal des folles », lui qui aimait tant les mettre en scène, les exposer, les fous.

Avec Le bal des folles, Victoria Mas imagine l’histoire de quelques-unes de ces femmes qui, en 1885, ont côtoyé Charcot. Il y a tout d’abord Geneviève, au service du célèbre neurologue depuis quelques années déjà – mais présente dans l’enceinte de l’établissement depuis tellement plus longtemps – et lui est dévouée corps et âme. Elle arpente les couloirs, connaît les moindres recoins de cette immense bâtisse et presque aussi bien certaines des aliénés qui la peuple. Elle fait son travail de superviseur, sans plus ni moins. Il n’y aura pas de mauvais traitement sous sa surveillance – la bienveillance fait partie intégrante de son travail –, mais qu’on ne lui parle pas de compassion. Après tout, Charcot est un homme bien, chaque femme internée ici, l’est pour une bonne raison. Ils sont médecins, après tout !

Parmi ces femmes, il y a Thérèse, internée depuis tellement longtemps qu’elle n’imagine même plus recouvrer sa liberté. Sa vie, elle est ici. Derrière ces fenêtres. La liberté, c’est pas dehors. Dehors, c’est la mort, c’est la prostitution, c’est les coups. C’est la mort, dehors. La Salpêtrière, c’est son cocon ; les autres aliénées, ses filles. Alors, elle tricote sans relâche, offre chandails et écharpes à tour de bras. Il y a aussi Louise, enfermée parce qu’elle a osé dire que son oncle abusait d’elle. Ça fait tâche dans la famille, alors on l’a emmenée ici, à l’hôpital de la Salpêtrière.

La dernière accueillie, c’est Eugénie. Quelques semaines avec le bal des folles. Elle arrive et c’est l’effervescence dans les dortoirs, les couloirs, la salle à manger, partout ! On ne parle que de déguisements, d’hypothétiques rencontres et promesses de jours meilleurs. Parce que durant cette soirée, elles sont les reines. On ne vient que pour les voir, les observer. On passe d’ailleurs l’année à espérer recevoir le fameux carton d’invitation. Et on espère secrètement que l’une d’entre elle entrera en transe, ce serait un beau spectacle, tout de même !

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Lorsque Geneviève rencontre Eugénie, ce sont toutes ses certitudes qui volent en éclat. Soudain, elle réalise que, peut-être, certaines sont là pour être muselées, contraintes au silence. Geneviève va alors faire quelque chose qu’elle n’a encore jamais fait : utiliser sa voix et parler en son nom.

Porté par une écriture belle et fine, Le bal des folles donne enfin la voix à ces femmes délaissées par la société, mise de côté et oubliées. Le bal, ce n’est pas cet événement de la mi-carême, non. Le bal, c’est cette magnifique chorégraphie que font les voix de ces femmes ensemble et qui semblent crier à l’unisson : les fous ne sont pas toujours ceux que l’on croit !

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