La vie silencieuse de la guerre, Denis Drummond. Éditions du Cherche-Midi, 22 août 2019, 320 pages.
Coup de cœur
» Jeanne,
Je pars demain pour Damas. Voilà tant d’années que je ne suis pas allé voir la guerre pour montrer son visage. Et j’ai peur, de nouveau, depuis ce que j’ai vu au Rwanda, peur de ne pas réussir à capter son regard, peur de ne faire que des instantanés qui ne montrent pas la guerre et ne représentent que ses fruits. Alors, tout en livrant aux agences ces clichés mineurs qui feraient les unes de la presse, j’ai prolongé une oeuvre, restée secrète, constituée de quatre négatifs. Ce que cette oeuvre donne à voir et que tu seras la première à découvrir ne se réduit à rien. Elle ouvre une dimension vertigineuse sur notre nature humaine.
(…)
Enguerrand »
Enguerrand était photographe de guerre. Son rôle en tant que photographe ? Aller « voir la guerre pour montrer son vrai visage. » Mais Enguerrand n’est plus. Déclaré mort lors de son dernier reportage photographique.
Tout commence, donc, après la mort d’Enguerrand. Jeanne, son ex-compagne rencontrée lors d’une mission d’aide aux réfugiés, reçoit un courrier de sa part. À l’intérieur : les lettres qu’ils se sont échangées pendant plusieurs années, quatre carnets de note et quatre négatifs … pour quatre des derniers pays en guerre dans lesquels il s’est rendu. Rwanda, Bosnie, Afghanistan, Irak. Dans la lettre qui accompagne cet étrange et énigmatique colis, Enguerrand n’a qu’une exigence : que Jeanne aille à la rencontre de Gilles Lespale, un galeriste sur les quais de Seine. Ensemble, Jeanne et Gilles, vont découvrir l’incroyable œuvre qu’Enguerrand a mis sur pied. Une œuvre « majeure », celle de toute une vie.
Au travers des notes d’Enguerrand, des souvenirs de Jeanne et de leur relation épistolaire, Denis Drummond nous invite à découvrir la guerre sous un autre visage, sous un angle photographique et artistique. Parce qu’Enguerrand ne décrit pas la guerre, les massacres, les violences … il nous décrit sa quête, la recherche de l’horreur de la guerre, auprès des vivants, des survivants. C’est dur, parfois douloureux, parce que la guerre y est décrite au travers des sentiments, des émois qu’Enguerrand met dans ses photos, au fil de ses rencontres. La guerre, on la « connaît » du point de vue historique, peu du point de vue émotionnel.
Le roman a ça de fascinant qu’il arrive à décrire avec une intime précision les clichés pris par Enguerrand. Clichés imaginaires, pour nous. En tant que lecteur nous n’avons que les mots, mais les mots de Denis Drummond ont la force de faire naitre les photos d’Enguerrand sous nos yeux ébahis. Il écrit la photographie et la voilà qui apparaît, claire et limpide, devant nous. Simplement muni de sa plume et de son vocabulaire, Denis Drummond montre que la photographie peut aussi se décrire avec une infime précision … et se lire, pour notre plus grand bonheur.
C’est une offrande que fait Denis Drummond avec ce roman. Un véritable et saisissant ex-voto contre la guerre. L’auteur nous la fait lire et nous la montre et c’est d’une terrible beauté. C’est brillant et captivant, c’est un immense coup de cœur.
Rétroliens/Pings