Le dimanche des mères, Graham Swift. Éditions Gallimard, janvier 2017, 144 pages.

Coup de foudre littéraire pour ce roman de Graham Swift qui irradie par son incroyable beauté et sa douceur presque insolente tant il plonge son lecteur dans un état cotonneux et hors du temps.

Le jour des mères, c’est ainsi qu’était appelé ce jour de congé accordé par les grandes familles aristocratiques anglaises à leurs domestiques afin que ces derniers puissent profiter de leur famille. Pourtant, pour Jane, la jeune femme de chambre des Niven, nulle célébration en vue : orpheline, elle s’apprête à passer cette journée seule, avec un livre emprunté dans l’immense bibliothèque de son employeur. C’était sans compter sur l’appel de Paul, son amant de longue date, aristocrate et voisin, qui – s’apprêtant à épouser une riche héritière – lui propose de le retrouver dans la demeure des ses parents. C’est ainsi que Jane se retrouve à jouer les aristocrates, allongée nue auprès de celui qu’elle aime, pour la dernière fois avant son union arrangée. Lorsque Paul part retrouver sa fiancée, il lui laisse la maison le temps de quelques heures et Jane prolonge son dimanche des mères à errer dans des lieux qu’elle n’avait jamais parcourus, en tenue d’Eve. Pourtant, cette passionnée de littérature ne le sait pas encore, mais ce dimanche des mères restera gravé en elle à tout jamais comme celui durant lequel la grâce et l’horreur se seront côtoyés de très près, bousculant son avenir à tout jamais.

Comment vous persuader de vous laisser aller à l’immense plaisir de la lecture de ce roman qui célèbre avec tant de réussite l’amour des lettres et de la lecture ? Car c’est avant tout grâce à une atmosphère surannée et incandescente que Graham Swift élève cette histoire, somme toute basique, au rang de chef-d’œuvre à la sensualité débordante.

Sous la plume épurée et romanesque de l’auteur, Jane devient cette jeune femme éperdument amoureuse – d’un homme d’abord, puis de la beauté et du pouvoir du langage, ensuite – témoin de la chute d’une aristocratie qui, petit à petit, s’effrite et s’efface pour laisser place à un monde plus moderne et industrialisé.

Un moment hors du temps, qui ravira les adeptes des Cazalet et de Downtown Abbey.

Résumé éditeur

Angleterre, 30 mars 1924. Comme chaque année, les aristocrates donnent congé à leurs domestiques pour qu’ils aillent rendre visite à leur mère le temps d’un dimanche. Jane, la jeune femme de chambre des Niven, est orpheline et se trouve donc désœuvrée. Va-t-elle passer la journée à lire ? Va-t-elle parcourir la campagne à bicyclette en cette magnifique journée ? Jusqu’à ce que Paul Sheringham, un jeune homme de bonne famille et son amant de longue date, lui propose de le retrouver dans sa demeure désertée. Tous deux goûtent pour la dernière fois à leurs rendez-vous secrets, car Paul doit épouser la riche héritière Emma Hobday. Pour la première – et dernière – fois, Jane découvre la chambre de son amant ainsi que le reste de la maison. Elle la parcourt, nue, tandis que Paul part rejoindre sa fiancée. Ce dimanche des mères 1924 changera à jamais le cours de sa vie.
Graham Swift dépeint avec sensualité et subtilité une aristocratie déclinante, qui porte les stigmates de la Première Guerre – les fils ont disparu, les voitures ont remplacé les chevaux, la domesticité s’est réduite… Il parvient à insuffler à ce court roman une rare intensité, et célèbre le plaisir de la lecture et l’art de l’écriture.

Extrait

« Elle deviendrait écrivain et parce qu’elle était écrivain, ou parce que c’était précisément cela qui l’avait incitée à devenir écrivain, elle était obsédée par le caractère changeant des mots. Un mot n’était pas une chose, loin de là. Une chose n’était pas un mot. Cependant, d’une certaine façon, les deux – choses – devenaient inséparables. Tout n’était-il qu’une pure et simple fabrication? Les mots étaient comme une peau invisible qui enveloppait le monde, qui lui conférait une réalité. Pourtant vous ne pouviez pas dire que le monde n’existerait pas, ne serait pas réel si vous supprimiez les mots. Au mieux, il semblait que les choses pouvaient remercier les mots qui les distinguaient les unes des autres et que les mots pouvaient remercier toute chose. »

•••

« Elle supposait – et son visage ridé s’épanouissait à nouveau – que c’était là une situation très fréquente chez les êtres humains. D’être dérouté et de ne pas savoir que faire de soi. »

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